Dès la fin du XIXe siècle sur les rives du Río de la Plata, des hommes et des femmes débarquent en nombre pour s'installer et vivre le rêve d'une Amérique par le Sud, après avoir franchis les frontières de leur pays situés sur le vieux continent. Toutefois la réalité se révèle bien moins satisfaisante qu'espérée, et la déception couplée à la nostalgie du pays devient l'essence même de l'esprit tango, avec ce brassage unique de cultures et folklores venus d'Europe. Au alentours de 1850, les premiers indices d'une musique et de quelque pas de danse nouveaux germent des deux côtés du Río de la Plata, frontière naturelle entre l'Argentine et l'Uruguay, où le tango qui n'a pas encore de nom et n'existe pas en tant que tel commence ces balbutiements. Il se joue et se danse de manière festive, avec des mélodies inspirées des descendants espagnols jouées à la guitare et à la flûte au rythme des esclaves afro-amérindiens, de manière improvisée et sans réelles structures.
Dès 1870 dans le port de Buenos Aires commence une immense vague d'immigration venue de nombreux pays d'Europe (principalement d'Italie et d'Espagne, mais aussi d'Europe de l'est) qui va influencer ce qui n'est pas encore le tango, mais qui va le devenir. La langue espagnole déjà en place, importé par les premiers colons, est très vite adoptée par tous les nouveaux arrivant quelque soient leur origine pour communiquer entre eux, et va donc naturellement être utilisée pour écrire les textes chantés du tango mais aussi un tout nouveau langage, le lunfardo, un argot populaire constitué de vocabulaires et dialectes des langues importés. Dans le même temps les mélodies jouées avec guitare, violon et flûte commencent à se structurer ainsi que la danse qui s'inspire en partie des folklores et bals traditionnels venus d'Europe.
Sur les bords du Río de la Plata les premiers tangos populaires plutôt festifs aux rythmes rapides avec souvent des paroles grivoises se rapprochent de la ville, ils se pratiquent de plus en plus dans les rues et faubourgs de Buenos Aires mais sont très mal vus par les autorités et la bonne société bourgeoise mais aussi des familles de milieux ouvriers. De lieux clandestins en bals canailles improvisés, le tango trouve donc tout naturellement refuge dans les maisons closes où sa musique va s'enrichir avec le piano présent dans les lieux. Le port continue d'accueillir les émigrants qui ne cessent d'affluer. Parmi eux débarque un instrument allemand d'une conception tout à fait nouvelle vers 1865, le bandonéon. Celui-ci n'a pas d'histoire ni de passé comme le piano ou le violon, et avec lui tout reste à inventer pour un nouveau langage musical. Avec son soufflet qui respire et sa tessiture proche de la voix humaine au son mélancolique, il trouve rapidement écho dans le coeur des Portègnes. Le bandonéon qui dorénavant remplace la flûte dans les formations musicales, va devenir l'instrument phare du tango, tous deux devenant indissociable dès 1890.
Le bandonéon lui, par sa complexité technique et de manipulation, ralentit le rythme des mélodies. Accompagné de la contrebasse, qui remplace la guitare dès 1900, il apporte une nouvelle identité au tango qui commence à trouver un public de plus en plus large. Cette musique devient l'expression des sentiments profonds de tous ces immigrants pour qui la nostalgie du pays et de la famille perdue va de pair avec une mélancolie exacerbée, sur leur peine de coeur et leurs espoirs souvent déçus. Survient alors un élément fondamental pour son histoire : en 1910, lors d'un voyage à Paris, capitale de tous les arts et fantasmes, le tango avec sa musique et ses pas de danses aux pauses lascives fait fureur dans les milieux mondains et fini par embraser toute l'Europe. Condamné par l'église mais adopté par les salons et la bonne société, la ville lumière devient la seconde capitale du tango et lui offre ses lettres de noblesse à la grande surprise de ceux qui sont venus avec.
De retour sur ses terres, le tango (auréolé de sa gloire parisienne et européenne) devient distingué et acceptable pour la bonne société portègne. La musique née de la rue commence à entrer dans les salons. Mais pour mieux s'approprier ce nouveau genre à la mode et détacher cette image venue des bordels avec ses textes aux histoires intimement liés, les paroliers réécrivent les succès et utilisent dorénavant uniquement la langue espagnole et suppriment toute trace de lunfardo pour les nouvelles chansons, ce qui permet, également, une plus grande exportation et, ainsi, de franchir à nouveau les frontières. De la même manière, les premiers instrumentistes qui improvisaient et jouaient d'oreilles sont remplacés par des musiciens formés au conservatoire, en conséquences de quoi les mélodies écrites deviennent de plus en plus riches et complexes. Les orchestres fleurissent, la danse elle-même gagne en virtuosité et les danseurs cherchent à travailler sophistication et élégance avec ces nouvelles partitions qui inventent véritablement le tango. L'âge d'or des années 1935-1945 met le tango à son apogée qui reste la référence jusqu’aujourd’hui.
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